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Simon Lachance, chercheur à l’Université de Guelph, est à la recherche de biopesticides pour lutter contre les ravageurs en serre. Il extrait des saponines des résidus de la culture de tomates en serre afin de tester les propriétés antifongiques et insecticides de cette molécule bioactive dont le potentiel phytochimique est peu exploité en serriculture en Ontario. Bonne écoute !
Bonjour, nous sommes heureux aujourd’hui de vous présenter l’entrevue avec le docteur Simon Lachance, chercheur à l’Université de Guelph sur le campus de Ridgetown , qui dirige une des activités de recherche de la Grappe Scientifique Biologique 3. Cette activité de recherche porte sur les saponines pour la gestion des ravageurs en culture en serre biologique. Bonjour Simon!
Bonjour Nicole !
Simon, quel est votre background académique? Vous êtes un entomologiste ?
Je suis un entomologiste, j’ai fait mon bac et ma maîtrise à l’Université Laval et je suis allé à l’Université de Guelph en lutte biologique, où j’ai fait mon doctorat sur la punaise terne. Puis j’ai travaillé pendant de nombreuses années au campus d’Alfred, qui fait partie de l’Université de Guelph, et qui est maintenant fermé, et j’ai été relocalisé au Campus de Ridgetown où je poursuis mes recherches depuis les dernières 4-5 années. Ce qu’on vise, c’est d’extraire des biopesticides, soit des composés synthétisés par les plantes, puis de les utiliser pour contrôler les insectes ravageurs, en particulier en serre, car il y’a une grande production de légumes de serre dans le sud-ouest de l’Ontario.
Ça nous amène au sujet de votre recherche : qu’est-ce qu’une saponine? Ce n’est pas un mot qu’on entend souvent, alors, et comment vous définissez une saponine?
Une saponine est un composé chimique produit par de nombreuses plantes comme par exemple le quinoa, certaines légumineuses, le ginseng, les épinards et plusieurs plantes de la famille des solanacées dont la tomate, la pomme de terre, l’aubergine. Ce sont des molécules assez grosses, utilisées par exemple comme un savon pour faire mousser un produit, d’où son nom ‘saponine’. Dans le cadre de notre activité, on extrait cette molécule à partir de la tomate, depuis des résidus agricoles qui ne sont pas utilisés, comme la pelure de tomates. Nous avons une entente avec Conagra, qui marchande la majorité des tomates qui sont produites en champ dans le sud-ouest de l’Ontario. L’autre source de saponines, ce sont les feuilles, les tiges, les résidus non-utilisés à la fin de la saison de production dans les serres de tomates. Nous avons une entente avec Erieview Acres, une serre biologique de tomates; les vignes de tomates sont déchiquetées à la fin de la saison puis envoyées dans un site d’enfouissement; on en utilise une certaine quantité pour en extraire nos saponines.
Et les saponines, c’est connu depuis quand même assez longtemps, peuvent être utilisées comme antifongique pour contrôler certains champignons, dont des champignons pathogènes, et certains insectes comme les pucerons par exemple.
Donc, notre projet est de réutiliser et valoriser des résidus, des déchets agricoles et leur donner une plus-value, et extraire nos saponines de la tomate pour contrôler les insectes nuisibles en serre.
C’est de la biologie circulaire basée sur le recyclage, c’est très bien vu en production biologique. Mais j’ai lu que la saponine stimule la résistance des plants qui sont cultivés en serre pour qu’ils puissent se défendre contre les ravageurs. Comment cela fonctionne-t-il?
C’est un des volets du projet, on veut vérifier si la plante réagit en produisant un peu plus de protéines de défense; donc elle se protège mieux par rapport aux insectes nuisibles. Mais la saponine a aussi un effet répulsif et de toxicité face à certains insectes nuisibles. Donc quand on fait une application foliaire, elle va probablement empêcher les insectes de se nourrir des feuilles; puis pour l’insecte, il y a un aspect toxique et un effet anti-appétant.
Donc, les saponines auraient un effet sur les tomates? Ou sur d’autres types de végétaux?
Les principales variétés cultivées dans notre serre sous régie biologique au campus de Ridgetown sont les tomates, les concombres et les poivrons; en ce moment, on a fait des tests en laboratoire; on récolte les feuilles de tomates, de poivrons, de concombres, et on fait nos tests de biopesticides en appliquant certaines doses ou des doses variées de saponines sur les feuilles; puis, on ajoute des insectes. Je travaille beaucoup sur la punaise terne, le puceron du melon et la cochenille farineuse. On met une dizaine d’insectes, dépendamment des tests, sur les feuilles en laboratoire, et on vérifie ce qui se passe. Est-ce qu’il y a une mortalité? Est-ce que les insectes vont sur la feuille? Est-ce qu’ils se nourrissent de la feuille? Est-ce qu’il y a un effet répulsif ou un effet toxique de la saponine s’il y a de la mortalité? On vérifie à chaque heure, on compte le nombre d’insectes sur les feuilles à chaque heure pendant à peu près 24 heures. Ce sont les tests de laboratoire qu’on a faits en majorité jusqu’à maintenant. Une autre portion du projet est faite par le Dr Ian Scott à Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), un entomologiste qui regarde un peu les mêmes choses que moi mais avec d’autres insectes, dont la mouche blanche ou l’aleurode des serres, le puceron de la digitale, le tétranyque à deux points et le thrips des petits fruits. On couvre donc les principaux insectes ravageurs en serre. Un autre collègue, Dr Rob Nicol, qui lui travaille au collège Lambton à Sarnia, est un pathologiste qui travaille au niveau des champignons pathogènes. On veut savoir si la saponine peut être aussi utilisée comme fongicide; on l’applique sur les racines des plantes, puis dans le sol où les plants poussent et on voit si ça peut empêcher certains champignons de se développer, dont ceux responsables de la fonte des semis.
Alors quand vous appliquez la saponine sur une feuille, en présence d’insectes, c’est un effet assez rapide?
Oui, car pour l’instant, on fait nos tests en laboratoire sur des feuilles détachées des plants. On teste pendant 24 heures; s’il y a moins d’effets dans les premières heures ou dans les premières 24 heures, probablement qu’il n’y aura pas d’effet à long terme. Si ça fonctionne bien, on va faire des essais un peu plus à long terme.
C’est la première fois que des saponines extraites de résidus de plants sont utilisées pour lutter contre les ravageurs ?
Ce n’est pas complètement nouveau; le fongicide Heads Up est déjà homologué contre certains champignons pour la pomme de terre, le soya, le haricot sec. Mais cette saponine-là ne vient pas de résidus de cultures; nous, on cherche justement utiliser les résidus de cultures, dont la tomate, pour en produire. Il faut aussi considérer que les saponines de différentes plantes vont probablement avoir des propriétés un peu différentes. Il y a des différences entre la saponine de la tomate et la saponine du quinoa, donc il faut vraiment voir comment elles fonctionnent et s’il va y avoir des différences au niveau de chacun des insectes; chaque insecte va réagir différemment à l’application de saponines.
Mais la saponine est incluse dans la plante même, ça ne suffit pas pour qu’elle se défende contre l’insecte?
Non ça ne suffit pas; les plantes, au niveau écologique et au niveau de l’évolution, ont évolué pour produire certains composés de défense, mais les insectes ravageurs, une fois qu’ils se nourrissent de ces plantes, vont s’adapter et souvent être capables de s’alimenter de cette plante. Si on prend de la saponine de tomate, et qu’on l’applique sur une autre culture sur d’autre insectes, il y en a certains qui vont mourir ou qui ne s’alimenteront pas parce qu’ils n’aimeront pas le gout ou parce que la saponine a un effet négatif sur eux. On vise aussi à augmenter la dose; si on la concentre, la dose va être plus élevée et peut-être que ça fonctionnera.
Quand on mange un légume ou un fruit, est-ce que la saponine est amère ? Qu’est-ce que ça goûte quand c’est intégré dans un fruit ou un légume ?
C’est une bonne question, parce que les saponines sont reconnues pour avoir un gout amer ; par ailleurs, les saponines sont utilisées aussi en médecine. Donc, leur mode d’action sur les insectes n’est pas entièrement connu, mais on pense que ça agit sur les insectes de deux manières, soit au niveau de la toxicité, probablement en se liant au cholestérol et en empêchant la mue des insectes (donc les insectes vont muer un peu anormalement), soit en causant le bris des parois des cellules des insectes.
Donc ce n’est pas juste un répulsif, ça agit sur le métabolisme de l’insecte ?
Oui, tout à fait, c’est le mode d’action au niveau toxique, en plus de l’effet anti-appétant. Ça réduit l’appétit des insectes parce que, probablement, le gout n’est pas très bon. C’est amer pour nous et pour les insectes aussi.
Vous entamez la troisième année de votre activité de recherche qui dure 5 ans ; vous en êtes à l’étape des tests en laboratoire ?
Oui, on a beaucoup de résultats au niveau de la punaise terne, qui n’est pas seulement un insecte en serre et qui peut être un gros problème aussi dans les champs. On a aussi beaucoup de tests au niveau du puceron du melon, puis on commence nos tests au niveau de la cochenille farineuse. Les insectes ne répondent pas tous de la même manière à la saponine. Il faut considérer la saponine elle-même ; on a testé les saponines extraites de la pelure de tomate, puis la saponine extraite des résidus du déchiquetage des vignes, des feuilles et des tiges, et les résultats sont légèrement différents. On a fait aussi des tests en serre parce qu’il faut s’assurer que le biopesticide n’a pas de toxicité pour la plante ; on a testé des doses variées de saponines sur nos plants de concombre, de poivron, de tomate en serre ; ces tests durent 14 jours et on observe ce qui se passe après l’application sur les feuilles.
Vous avez une colonie d’insectes que vous chouchoutez ?
Oui, on a trois colonies d’insectes : punaises ternes, pucerons du melon et aleurodes. On réutilise aussi les plantes qu’on fait pousser en serre pour nourrir nos colonies d’insectes. Le Dr Ian Scott à AAC a aussi 3 ou 4 autres colonies d’insectes avec lesquelles il travaille à London, et on partage nos données.
Et vos passions ?
Nos passions, nos données, oui, on discute à chaque 2-3 semaines environ. On collabore aussi avec Erieview Acres à Kingsville, pour récolter les résidus des serres, et avec Freeman Herbs, qui est un partenaire où on fait des tests sur d’autres plantes, comme le basilic, pour voir si la saponine pourrait contrôler certains insectes en production d’herbes en serre.
En plus du financement accordé dans le cadre de la Grappe scientifique biologique, vous êtes financé par Ontario Greenhouse Vegetables Growers, qui regroupe les producteurs de légumes en serre de l’Ontario. Une fois que votre projet sera complété, quelle serait le résultat idéal ? Que la saponine soit homologuée et que l’on commence à produire industriellement de la saponine pour soutenir la production en serre biologique au Canada ?
Le processus d’homologation est quand même assez long. Après 5 ans, je ne suis pas certain qu’on puisse avoir directement un produit homologué, mais si on a les résultats qui peuvent soutenir une soumission à l’Agence de la réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) pour l’homologation de notre produit, ça serait vraiment l’idéal.
Votre produit serait surtout utilisable en culture en serre ou en champ ?
Pour l’instant, notre projet concerne la culture en serre, mais je crois qu’il y a quand même un marché qui pourrait s’ouvrir pour la culture en champ. On vise surtout les producteurs bio parce que le choix de biopesticides est quand même assez limité ; il y en a quelques-uns qui sont disponibles, mais on aimerait élargir ce choix en ajoutant la saponine comme biopesticide pour le contrôle de certains insectes en serre.
L’industrie des biopesticides est vraiment en croissance dans le monde. Il y a de plus en plus de gens qui travaillent pour développer des biopesticides et on était très excité justement de recycler des résidus qui sont normalement envoyés dans les sites d’enfouissement et de les réutiliser ; on extrait un biopesticide qui donne de la valeur ajoutée et on a même l’idée, pour un autre projet, d’envoyer les résidus végétaux de l’extraction de la saponine dans un biodigesteur. Ou on pourrait utiliser le reste du matériel végétal après l’extraction de la saponine pour nourrir des mouches pour produire des protéines. Donc, la boucle du recyclage serait complètement fermée.
Ou encore composter ?
Oui, peut-être composter, mais c’est sûr qu’il faudrait mélanger avec d’autres résidus, car la vigne de tomate ne se composte pas très bien. On est en train de penser à ce que l’on fait avec les restes après l’extraction, à ce qu’on peut faire comme projet de recherche pour essayer de valoriser le tout.
C’est intéressant, on a vraiment hâte de connaître les résultats de votre activité de recherche. Merci beaucoup Simon, on va vous recontacter à la fin de votre projet, car c’est un projet prometteur.