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La Science du Bio au Canada - Printemps 2022

Magazine

Prendre soin de la vie dans votre sol

Tending Soil Life - Organic Science Canada Magazine 2022
Les cultures de couverture nourrissent les organismes du sol et protègent leur habitat de nombreuses façons, notamment en modulant la température du sol et réduisant le risque d'érosion. (Photo de Janet Wallace)

Par Janet Wallace 
Productrice biologique, auteure et chercheure

Imaginez un troupeau de moutons dans un pâturage luxuriant. Maintenant, retournez l’image, comme si vous regardiez un reflet dans un lac calme. Considérez qu’il y a probablement dans le sol un poids égal de formes de vie – plantes, insectes, autres invertébrés et microorganismes. Les agriculteurs biologiques ne se limitent pas à prendre soin des plantes et des animaux qui vivent à la surface du sol, ils nourrissent et protègent également la vie du sol.   

Un sol en santé contient un nombre impressionnant d’organismes vivants. Une poignée de bon sol peut contenir plus d’organismes vivants que la population humaine mondiale. Ces organismes sont essentiels aux cultures et à l’élevage des animaux sous régie biologique.  

Des acariens aux taupes, des vers de terre aux endophytes, il existe une grande diversité de créatures vivant dans le sol. Nous nous concentrerons sur les microorganismes (p. ex. les bactéries, les champignons et les protozoaires) et les invertébrés (p. ex. les vers de terre, les nématodes et les coléoptères).  

Les leaders du sol  #

Les actinomycètes sont des bactéries qui donnent au sol son odeur « terreuse » et laissent des filaments minces qui contribuent à l’agrégation du sol. Les actinomycètes participent au cycle des éléments nutritifs, aident à contrôler les maladies des racines en inhibant les agents pathogènes et favorisent les régulateurs de croissance des plantes.   

Les mycorhizes à arbuscules (MA) sont des champignons ayant des relations symbiotiques (mutuellement bénéfiques) avec les racines de plusieurs espèces de plantes, autres que les brassicacées (p.ex. le canola, le chou). Les MA augmentent la surface des racines, ce qui améliore la capacité des plantes à extraire du sol l’eau et les éléments nutritifs, en particulier le phosphore. Les MA aident également à protéger les plantes des champignons pathogènes (y compris Fusarium et Pythium), des nématodes nuisibles ou des autres stress, comme la sécheresse et la chaleur extrême. Les MA améliorent également la structure du sol.    

Les vers de terre sont des indicateurs efficaces parce qu’ils sont simples à dénombrer et leur abondance reflète la santé globale du sol. Les vers de terre améliorent la porosité et la structure du sol en créant des tunnels, qui permettent à l’air et à l’eau de s’infiltrer, et en les tapissant de substances riches en éléments nutritifs qui aident à lier les particules de sols entre-elles. Ils déplacent également les microorganismes et les éléments nutritifs dans le sol.  

Les rhizobiums sont des bactéries qui vivent dans les racines des légumineuses. Ils fixent l’azote de l’air, qui devient disponible pour d’autres plantes quand les nodules sont éliminés des racines des légumineuses vivantes ou quand les légumineuses sont incorporées dans le sol.   

La vie du sol est, en fait, le fondement de l’agriculture biologique. Les microorganismes et les invertébrés aident les plantes à accéder aux éléments nutritifs et à l’eau, et les protègent contre les maladies.

Les cultures de couverture nourrissent les organismes du sol et protègent leur habitat de nombreuses façons, notamment en modulant la température du sol et réduisant le risque d'érosion. (Photo de Janet Wallace)
Contribution à la vie du sol #

La vie du sol est, en fait, le fondement de l’agriculture biologique. Les microorganismes et les invertébrés aident les plantes à accéder aux éléments nutritifs et à l’eau, et les protègent contre les maladies. Les chercheurs de la Grappe Scientifique Biologique (GSB) ont exploré comment les agriculteurs peuvent protéger la vie du sol afin que les microorganismes puissent remplir les fonctions critiques suivantes.  

La décomposition 

Plusieurs formes de vie sont des décomposeurs actifs. Des insectes et des arthropodes, comme les cloportes, commencent le processus et les microorganismes le poursuivent. Cette équipe de démolition libère des éléments nutritifs contenus dans le matériel végétal et animal, y compris les cultures de couverture, les résidus de culture et le fumier composté. Les organismes fouisseurs (p.ex. les vers de terre) aident à transporter le matériel en décomposition et les éléments nutritifs dans le sol.   

Le cycle des éléments nutritifs 

En plus de libérer les éléments nutritifs de la matière organique en décomposition, les microorganismes du sol convertissent les éléments nutritifs des minéraux et des gaz en formes que les plantes peuvent utiliser. En fixant l’azote, les rhizobiums capturent l’azote de l’air; d’autres bactéries (nitrifiantes) transforment l’ammonium en nitrites puis en nitrates utilisables par les plantes. La chercheure de la GSB, Dr Chantal Hamel, a constaté que les champignons mycorhiziens à arbuscules (CMA) semblent améliorer la capacité des plantes hôtes à utiliser les sources organiques de P et de N. Elle conclut que « les champignons MA peuvent extraire efficacement les éléments nutritifs et l’eau du sol, permettant à des sols peu fertiles de produire de bons rendements. »       

Les plantes dont les racines ont un meilleur accès aux éléments nutritifs peuvent produire des aliments plus sains. Dr Miranda Hart, chercheure de la GSB, a constaté que des plants de tomates inoculés avec des champignons MA avaient des fruits avec un niveau d’antioxydants plus élevé, une meilleure qualité nutritive et plus de caroténoïdes.  

La séquestration du carbone 

Alors que nous faisons face à la crise du climat, des chercheurs étudient comment le carbone peut être stocké dans le sol. La séquestration du carbone est un processus complexe et dynamique où les organismes du sol capturent et transforment le carbone.  

Améliorer l’ameublissement du sol  

Plusieurs formes de vie libèrent des substances qui aident aux particules de sol à se coller ensemble. Le « film visqueux » des vers de terre, les sécrétions des racines (exsudats), les hyphes fongiques et les filaments bactériens contribuent à l’agrégation des particules et à l’ameublissement du sol. De plus, les tunnels créés par les organismes fouisseurs permettent à l’eau (et l’air) de pénétrer dans le sol.  

La lutte contre les ravageurs

Une communauté abondante et diversifiée d’organismes du sol offre une solide protection contre les ravageurs à l’origine des maladies des racines. Dans les sols biodiversifiés, les organismes bénéfiques plus abondants peuvent supprimer les organismes nuisibles qui causent des maladies (pathogènes).  

Protéger la vie du sol

De nombreuses pratiques agricoles, telles que le travail du sol et l’utilisation de pesticides et d’engrais synthétiques, peuvent nuire aux organismes du sol. Heureusement, les producteurs peuvent nourrir et protéger la vie du sol en suivant certaines pratiques biologiques de base, notamment: 

  • Diversifier la rotation des cultures, en incluant des cultures vivaces ou des cultures de couverture
  • Éviter ou minimiser le travail du sol  
  • Garder autant que possible le sol couvert de cultures vivantes ou de résidus de culture
  • Utiliser des sources d’éléments nutritifs biologiques (engrais verts, fumier composté) au lieu d’engrais synthétiques 
  • Prévenir les niveaux élevés de phosphore dans le sol 
  • Éviter l’utilisation de pesticides, y compris les insecticides, les biopesticides et les herbicides 

Dr Martin Entz, de l’Université du Manitoba, a participé à plusieurs activités de recherche de la GSB, notamment en évaluant les effets à long terme des rotations des grandes cultures biologiques sur la santé des sols. Il a constaté que les rotations de cultures qui comprennent des plantes vivaces (fourragères) améliorent la santé des sols en augmentant la taille et l’activité des populations microbiennes du sol. Lorsque des plantes fourragères ou des engrais verts vivaces sont cultivés, le sol n’est pas perturbé par le travail du sol car il demeure entièrement couvert pendant toutes les saisons.      

Le travail du sol peut endommager les invertébrés du sol ainsi que leur habitat en détruisant les tunnels et les agrégats de sol, ce qui réduit l’infiltration de l’eau et de l’air dans le sol. Les microorganismes peuvent aussi être affectés. Entz a constaté que le travail du sol peut réduire la colonisation des MA et perturber les réseaux fongiques.    

Les cultures de couverture nourrissent les organismes du sol et protègent leur habitat de nombreuses façons, notamment en modulant la température du sol et réduisant le risque d'érosion. (Photo de Janet Wallace)

Cependant, la Dre Chantal Hamel a constaté que les microorganismes du sol étaient plus affectés par l’élimination des résidus de culture que par le travail du sol. Dr Hamel se concentre sur les champignons mycorhiziens à arbuscule et a participé à plusieurs activités de la GSB. Les résidus de culture sont une source de nourriture évidente pour les organismes du sol, mais les racines des cultures, qui nourrissent les organismes du sol pendant la saison de croissance et après la récolte, sont toutes aussi importantes.  

L’élimination des résidus de cultures peut être plus dommageable que le travail du sol parce que le couvert végétal (résidus de culture, paillis ou plantes) fournit un habitat et modère l’humidité et la température du sol. Ceci est important parce que de nombreux organismes du sol, particulièrement les champignons MA, sont sensibles à la sécheresse, aux sols gorgés d’eau et aux températures extrêmes.  

 Les cultures de couverture peuvent fournir une couverture végétale dans les rotations et entre les rangées des cultures. Au Summerland Research and Development Center, à l’Université de Colombie-Britannique,  la Dre Miranda Hart a étudié les impacts des cultures de couverture sur la vie du sol dans les vignobles, et l’impact sur les vignes de l’inoculation avec des champignons MA. Son équipe a conclu que les cultures de couverture ont plusieurs effets bénéfiques sur la vie du sol. Plus particulièrement, ils ont constaté ce qui suit :  

  1. L’augmentation de la diversité végétale (incluant les cultures de couverture et les mauvaises herbes) augmente la diversité microbienne du sol et inhibe les agents pathogènes transmis par le sol; 
  2. La culture d’une gamme diversifiée de plantes (p. ex. légumineuses, brassicacées, autres plantes à feuilles larges et graminées de saison chaude et de saison fraîche) peut accroître les populations de microbes bénéfiques;  
  3. Les brassicacées (p.ex. le radis et la moutarde) suppriment les maladies fongiques et favorisent les bactéries qui suppriment également les maladies (la moutarde blanche, en particulier, a entraîné une réduction des dommages aux racines et de la présence de l’agent pathogène Ilyonectria); 
  4. L’utilisation de plantes indigènes comme cultures de couverture peut favoriser les microorganismes bénéfiques du sol, y compris le champignon bénéfique Beauveria bassiana, et inhiber les agents pathogènes; 
  5. « Le travail du sol fréquent, et l’utilisation d’herbicides et de fongicides à base de cuivre peuvent nuire aux populations de microbes bénéfiques. »  


Martin Entz a également constaté que garder le sol couvert en hiver avec des cultures de couverture peut augmenter la colonisation
des champignons MA. Les brassicacées, cependant, ne sont pas hôtes pour ce type de champignon; les cultures de couverture comme la moutarde ou le radis ne l’aideront pas. Pour la même raison, les rotations de cultures avec l’utilisation fréquente de brassicacées ne génèrent pas de fortes populations de champignons MA. Cependant, la culture intercalaire avec des non-brassicacées ou des brassicacées, suivies par des légumineuses ou un engrais vert de graminées ou de céréales, peut être bénéfique.

Nodules racinaires. (Photo de Janet Wallace)

Choisir des engrais biologiques 

Le carbone provenant de la matière végétale ou animale fournit de l’énergie aux microorganismes du sol. Les engrais synthétiques azotés ou phosphatés ne contiennent pas de carbone et, par conséquent, ils ne font que nourrir la plante, pas le sol: c’est à l’opposé de ce que font les producteurs biologiques.    

Le choix de l’amendement organique du sol affecte la vie du sol. Le fumier de vache composté peut contribuer davantage à la vie du sol que le fumier de poulet granulé. Dans le cadre de la GSB2, Dr Caroline Côté a étudié l’effet de la rotation des cultures et de différentes sources d’éléments nutritifs sur le rendement de la carotte et la vie du sol. L’étude portait sur les engrais verts (pois, avoine, témoin) et les engrais biologiques (fumier de volaille granulé, fumier de vache composté, témoin). De ces neuf scénarios, la population bactérienne était la plus élevée dans les parcelles de pois-compost et d’avoine-compost. Pour les formes de vie plus grandes, comme les champignons bénéfiques, la diversité d’espèces était plus grande lorsque le fumier de vache composté était appliqué, par rapport au fumier de volaille granulé. Ceci est important non seulement d’un point de vue écologique, mais aussi parce que la prolifération de champignons bénéfiques dans le sol était liée à des rendements de carotte plus élevés.  

L’effet de l’utilisation à long terme d’engrais phosphatés, incluant le phosphate naturel, sur la vie du sol a été étudié dans diverses activités de la GSB avec des résultats contradictoires. Dr Hamel a constaté que la diversité des bactéries et des champignons du sol (mais pas les champignons MA) était affectée par la fertilisation phosphatée à long terme dans les champs de luzerne, tandis que l’utilisation d’engrais phosphatés dans les champs de soja et de blé affectait la diversité et /ou l’abondance des champignons mycorhiziens à arbuscule. 

Les vers de terre sont d'excellents indicateurs de la santé du sol. (Photo de Janet Wallace)

Inoculation

Les producteurs peuvent inoculer le sol, ou planter des graines ou des racines en symbiose avec des organismes bénéfiques. Inoculer des graines de légumineuses avec Rhizobia est une pratique courante. L’inoculation avec des champignons mycorhiziens à arbuscule est moins fréquente et plus compliquée, voire controversée. 

Chantal Hamel a constaté que l’efficacité des champignons MA comme inoculants dépend de l’appariement de la souche appropriée aux propriétés du sol. De plus, les champignons MA déjà présents dans le sol affectent l’efficacité de l’inoculant à coloniser les racines.  

Miranda Hart craint cependant que les inoculants commerciaux à base de champignons MA menacent les communautés naturelles de champignons MA. Elle affirme « qu’à partir des données disponibles, nous concluons que l’inoculation à base de champignons mycorhiziens à arbuscule est au mieux un pari, et au pire une menace écologique. » 

Ressources recommandées  #

Farming with Soil Life: A Handbook for Supporting Soil Invertebrates and Soil Health on Farms. https://xerces.org/sites/default/files/publications/19-051.pdf 

Tales From The Underground: A Natural History Of Subterranean Life by David W. Wolfe 

La Grappe scientifique biologique 3 est dirigée par la Fédération biologique du Canada, en collaboration avec le Centre d’agriculture biologique du Canada à l’Université Dalhousie, et soutenue par le programme Agri-science d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, dans le cadre stratégique du Partenariat canadien pour l’agriculture (un investissement fédéral-provincial-territorial), et par plus de 70 partenaires du secteur biologique.

Ce magazine peut être ainsi référencé : Geldart, E. Graves, M.E., Boudreau, N., Wallace, J., et Hammermeister, A.M. (rédacteurs). 2022. La Science du Bio au Canada. Volume 4. Fédération biologique du Canada, Montréal, QC et Université Dalhousie, Truro, N.-É. 40 p. www.dal.ca/oacc/oscIII

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