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La sécurité alimentaire et le rendement des serres biologiques

28 janvier 2021

Sommaire

Martine Dorais - Fascinating yields of organic greenhouses - Organic Federation of Canada

Martine Dorais, Ph. D., est professeure titulaire au Département de phytologie de la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval. Depuis novembre 2020, elle dirige également la chaire de recherche MAPAQ en horticulture biologique sous serres et en environnement contrôlé. La création de cette chaire de recherche coïncide avec l’annonce par le MAPAQ de la stratégie de croissance des serres.

Elle nous parle des avancées majeures sur la fertilisation, les substrats, l’éclairage et le contrôle des effluents en serriculture et décrit la serre de ses rêves, un complexe hybride zéro-déchet.

Téléchargez la transcription en format PDF.

Bonjour Martine. Pour clarifier votre rôle, qu’est-ce qu’une chaire de recherche ?

C’est une programmation de recherche qui vise à répondre à une problématique précise du secteur. La chaire de recherche MAPAQ étudie les facteurs influençant la santé du sol et de la plante, deux aspects importants en culture biologique. Cette chaire implique des chercheurs de différentes spécialisations et collabore avec 7 partenaires de l’industrie.

Quels sont les principaux axes de recherche de la chaire MAPAQ en production sous serres et en environnement contrôlé ?

  • Le développement de milieux de culture suppressifs, écologiquement innovants et durables;
  • La mise au point d’un digesteur anaérobique de résidus de culture, dans le but de valoriser ceux-ci comme source fertilisante;
  • Le développement de stratégies d’irrigation optimales favorisant la santé du sol et de la plante;
  • Une meilleure compréhension du microbiote du milieu de culture et de l’impact des biostimulants sur la résilience des plantes aux stress biotiques et abiotiques (maladies, ravageurs, stress hydriques, etc.).

 

Pouvez-vous nous parler des résultats de vos activités de recherche, notamment celles sous le programme des grappes agri-scientifiques? Quelles sont les récentes découvertes au sujet de la fertilisation et des médias de croissance ?

À la suite de nombreux essais, nous avons défini la fertilisation et le substrat de culture adéquats, spécifiques à des espèces ornementales ou légumières, et même parfois à certains cultivars. Différentes fréquences et doses de fertilisation ont été testées afin de déterminer la régie optimale, qui favorise la croissance et la productivité de la plante, ainsi que la qualité des fruits. En évaluant l’évolution des milieux de culture à long terme, il s’est avéré difficile de conserver les caractéristiques optimales des substrats de culture, car ceux-ci sont altérés par les apports continus de fertilisants. L’emphase doit donc être mise sur des substrats qui conservent leurs caractéristiques physico-chimiques dans le temps. De plus, nous avons effectué des recherches sur l’impact des amendements. Par exemple, le biochar permet non seulement de séquestrer le carbone, mais aussi, de réduire les pertes en élément nutritifs. Ainsi, il a été possible de réduire de 30 à 40% la perte en azote et en phosphore du sol, en plus d’accroître l’activité biologique des sols. Nous avons aussi déterminé les avantages et les difficultés de cultures intercalaires lors d’essais effectués avec la roquette, la tomate et d’autres plantes tuteurées.

De quelle façon ces résultats de recherche pourraient bénéficier à un producteur en serre souhaitant démarrer un substrat de croissance et l’entretenir pour favoriser la croissance et la productivité de ses plantes ? Avez-vous des recommandations ?

Nous avons développé un outil pour les producteurs, qui permet de valider les taux de minéralisation dans le temps. Cet outil a été éprouvé lors d’incubations avec différents fertilisants biologiques et lors d’un essai commercial. Nous souhaitons maintenant sélectionner des fertilisants mieux équilibrés en termes de N-P-K, car les fertilisants d’origine animale ne correspondent pas au ratio requis par la plante. Ceux-ci peuvent mener à l’accumulation de sels dans les substrats de culture, à des problèmes nutritionnels et à une sur-irrigation. Nous visons maintenant une plus fine gestion de la fertilisation et la sélection de sources fertilisantes ayant un effet positif sur le microbiote du sol et sur la plante.

Quels travaux de recherche avez-vous effectués pour récupérer les effluents et réduire l’empreinte environnementale de la production en serre ?

L’approche des marais filtrants a été utilisée dans des systèmes de culture biologique, pour filtrer 99.99% des agents pathogènes présents dans les effluents de culture. Les effluents filtrés peuvent ensuite être réintroduits dans la serre, ou encore rejetés dans la nature sans avoir d’impact environnemental puisque le nitrate et le phosphate ont été retirés. C’est une approche très avantageuse et peu coûteuse qui pourrait être utilisée par tous les producteurs afin de traiter leurs effluents biologiques chargés de particules de matière organique, et qui sont plus difficiles à désinfecter avec les méthodes courantes permises en agriculture biologique telles que l’ozone ou l’approche thermique.

Vous avez aussi mené beaucoup d’expériences pour déterminer le meilleur éclairage d’appoint (types de lampes, modes de distribution, etc.). Où en est la recherche en ce moment?

Avec les nouveaux luminaires DEL, on peut maintenant modifier la qualité spectrale de la lumière. Par exemple on peut moduler la lumière au courant de la journée, ce qui n’était pas possible auparavant avec les lampes à hautes pression de vapeur sodium (HPS). On peut ainsi modifier la morphologie de la plante et améliorer les rendements et la valeur nutritive des aliments. De futures recherches permettront d’optimiser les paramètres, qui sont spécifiques à chaque espèce. Lors d’expériences par le passé, nous avons obtenu des résultats intéressants avec l’approche par éclairage DEL intra-canopée. L’utilisation d’un système d’éclairage hybride intégrant les luminaires HPS et DEL est recommandé, considérant la contribution importante des lampes HPS au chauffage de la tête des plants en hiver.

Est-ce qu’il serait possible de reproduire la lumière du soleil avec de l’éclairage artificiel et de produire des fruits et légumes offrant la même qualité?

Oui, nous étudions cet aspect dans le cadre de la Grappe Bio 3 avec des essais en serre, en chambre de croissance et en milieu commercial. Nous modulons les spectres et l’intensité lumineuse pour optimiser la régie d’éclairage et obtenir une qualité de produit équivalente ou même bonifiée. Les manufacturiers offrent maintenant des luminaires avec toute la gamme de spectres, comme celle de la lumière solaire.

Vous vous êtes aussi intéressée à l’aspect du chauffage, un autre aspect important en pays nordique. Avez-vous obtenu des résultats probants en expérimentant un système géothermique ?

Oui, un système a été installé aux serres Jardins-Nature afin d’obtenir une serre fermée presqu’en tout temps et garder tout le CO2 à l’intérieur. Des échangeurs de chaleur ont permis de déshumidifier la serre maintenue fermée, et ce, jusqu’au début de l’été. Ce système a permis un meilleur contrôle énergétique et l’amélioration de l’empreinte carbone, en plus d’obtenir de meilleurs rendements. C’est un système performant, peu coûteux et pouvant facilement être adapté à des serres de petites superficies.

À quel point la production en serre est-elle plus productive que la production en champ ?

Le rendement d’une production en serre peut être de 10 à 40 fois plus élevé qu’une production en champ. Les taux de minéralisation doivent donc être très rapides et les caractéristiques physico-chimiques du sol optimisées pour que les amendements organiques puissent subvenir aux besoins de la plante au moment opportun, et ainsi, éviter les pertes en nutriments. Nous voulons mieux comprendre les différents mécanismes en place pour réévaluer le choix des intrants en fonction des effets attendus sur les microorganismes dans le sol et de la réponse de la plante face aux stress, tout en favorisant une bonne santé du sol et en diminuant l’empreinte énergétique à zéro.

Est-ce qu’en comblant tous les besoins de la plante, nos systèmes actuels favorisent des plantes « paresseuses », moins robustes ?

Oui, c’est pourquoi nous tentons maintenant de recréer le climat d’origine de la plante en incluant certains stress calculés, pour d’obtenir de bons rendements en légumes, tout en ayant les qualités recherchées (ex. laitue croustillante, tomate goûteuse). L’équilibre entre stress et productivité est plus difficile à atteindre en culture biologique. Les nutriments sont moins disponibles et le climat de la serre est régi différemment pour éviter notamment la propagation d’agents pathogènes, desquels on s’attend à une pression accrue induite par les changements climatiques.

Est-ce que les plantes en serre seront moins sensibles aux changements climatiques que celles en plein champ?

Tout à fait, et c’est pour cette raison qu’on cultive de plus en plus en serre ou en culture sous abri, bien que les ravageurs réussissent tout de même à pénétrer à l’intérieur de ces structures. Il y a cependant des limites à la culture en serre, comme lors des périodes chaudes en été où il est trop coûteux de climatiser.

Vous supervisez en ce moment une recherche sur la production de bleuets et de framboises dans des méga-tunnels à l’île d’Orléans. En quoi consiste ce projet?

Nous cherchons à contrôler un problème de ravageurs en production biologique en champ en utilisant des tunnels avec barrières d’insectes. Ces tunnels permettent aussi de prolonger la saison de production. Nous étudions l’effet de 4 types de recouvrement sur la qualité spectrale, qui à son tour influence la croissance de la plante, les ravageurs et leurs prédateurs. L’ampleur du projet rend possible la caractérisation du microclimat des tunnels en milieu réel, sur de grandes superficies de culture.

Suite à vos multiples années de recherches en serres québécoises, quelle serait la serre de vos rêves ?

Il faudrait qu’elle ait une empreinte environnementale neutre, et c’est possible! Toutes sortes de stratégies existent, comme l’utilisation des rejets thermiques, de l’énergie solaire ou encore de la biomasse. Les serres accumulent 3 fois plus d’énergie que nécessaire, on pourrait donc l’entreposer, ou combiner les serres à d’autres bâtiments pour leur fournir de l’énergie. La serre idéale pour moi serait un système intégré en circuit fermé, tant au niveau énergétique qu’au niveau des intrants. On associerait la culture en serre à d’autres productions (ex. bâtiments d’animaux) et on valoriserait les déchets (ex. bio-digesteur). Et ma serre idéale serait bien sûr en régie bio!

Votre objectif n’est-il pas aussi d’assurer l’autonomie alimentaire dans un pays froid comme le Canada?

En effet, et dans l’atteinte de cet objectif, les productions biologiques permettent de diversifier les produits offerts aux consommateurs. On doit concevoir un système diversifié mais aussi, un système économiquement viable, et la compétition extérieure fait partie du défi. Nous avons également des projets de recherche sur la serre nordique, qui visent une certaine autonomie et sécurité alimentaire. Il n’y aurait donc pas qu’un seul modèle de serre idéale mais plusieurs modèles à développer, selon l’endroit utilisé pour la production en serre.

C’est à suivre! La chaire du MAPAQ en agriculture bio sera certainement très occupée et productive. Un grand remerciement pour cet entretien et on suivra de près tous ces projets que vous prévoyez mettre en place!

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