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Les systèmes alimentaires contribuent pour une large part aux émissions mondiales de gaz à effet de serre. Mais qu’en est-il des systèmes de production biologique ?
Le Dr Peter Tyedmers dirige une activité de recherche très utile pour estimer le niveau des émissions de gaz à effet de serre des systèmes de production de grandes cultures biologiques au Canada. Il invite tous les agriculteurs biologiques canadiens à se joindre à cette activité de recherche. Pour en savoir plus, cliquez ici.
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Notre climat change rapidement et les gouvernements du monde entier (y compris le nôtre) cherchent des moyens de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). L’agriculture est reconnue comme un contributeur important aux émissions de GES, mais aussi comme une trappe potentielle de GES.
Aujourd’hui, nous cherchons à mieux comprendre le rôle de l’agriculture biologique dans les émissions de GES. Je m’appelle Andy Hammermeister et je suis le directeur du Centre d’agriculture biologique du Canada à l’Université Dalhousie. Je suis très heureux de m’entretenir avec mon collègue, le Dr Peter Tyedmers, qui est professeur à la School for Resource and Environmental Studies, également à l’Université Dalhousie. Bienvenue Peter.
Merci, c’est un plaisir de participer à votre premier podcast officiel.
En effet, c’est mon premier podcast ! Je suis très enthousiaste et je vous remercie d’être mon cobaye. Alors, Peter, quel genre de recherche faites-vous à l’Université Dalhousie ?
Je suis ici depuis près de 20 ans maintenant. Mon travail varie en fonction des intérêts des étudiants ou des opportunités qui se présentent. Mais une grande partie de mon travail concerne les systèmes alimentaires afin de comprendre leurs performances concrètes et énergétiques, de connaître la quantité d’énergie fossile ou d’électricité que nous investissons dans ces systèmes. Par exemple, les investissements en matériaux et en énergie dans les systèmes alimentaires ont-ils des impacts environnement, tels l’eutrophisation (apport excessif de nutriments dans les écosystèmes) ou les émissions de GES ?
Au départ, je n’étais pas exclusivement un spécialiste des systèmes alimentaires et de leur impact sur le cycle de vie, mais au fil du temps, c’est là qu’une grande partie de ma passion, de mon intérêt et de mon expertise m’a amené.
Les dirigeants du secteur biologique ont essayé de déterminer comment le secteur biologique influence le changement climatique, afin de savoir si nous avons un effet net positif ou négatif. Nous manquons de données et l’une de nos principales priorités est de mieux comprendre comment l’agriculture biologique et ses pratiques influencent les émissions de GES, ou peut-être les atténuent. Cela nous amène à l’activité de recherche à laquelle vous participez. Pouvez-vous nous parler de ce projet ?
Bien sûr ! Le projet fait partie du la Grappe scientifique biologique 3. En collaboration avec deux collègues, Goretty Dias, de l’Université de Waterloo, et Nathan Pelletier, de l’Université de la Colombie-Britannique, dans l’Okanagan, nous nous efforçons de comprendre les émissions nettes de GES associées à la production biologique des grandes cultures. Nous essayons de recueillir autant de données que possible sur de nombreuses grandes cultures, comme le maïs, le soja, le canola, le blé et les pommes de terre, et sur leurs émissions nettes de GES lorsqu’elles sont cultivées sous régie biologique.
Cela semble être un travail énorme de calculer toutes les émissions de GES d’une exploitation agricole. Commencez-vous au niveau d’une seule exploitation ou bien examinez-vous le système de production associé à une seule culture ?
Nous cherchons à obtenir deux séries d’informations auprès des agriculteurs.
Tout d’abord, nous voulons rencontrer les agriculteurs pour connaître les principaux intrants de leur exploitation et de même que leurs résultats. Nous voulons que les agriculteurs nous parlent de leur rotation au cours des trois ou quatre dernières années, des taux moyens d’apport d’engrais, des intrants en carburant, de l’énergie qu’ils utilisent pour irriguer et des autres intrants clés de leur exploitation. Nous essayons d’obtenir le plus d’informations possible sur ce qui a été investi en intrants au cours de l’année écoulée, et de remonter dans le temps pour voir ce qui a résulté des intrants passés (comme la quantité de maïs, de blé ou de soja produite au cours de ces années). Nous voulons utiliser ces détails pour l’analyse du cycle de vie (ACV).
Ensuite, nous devons considérer l’emplacement de l’exploitation, le profil du sol, l’histoire du sol… est-il à la limite de sa capacité de séquestration du carbone ? S’agit-il d’un sol fortement appauvri en carbone, et donc susceptible de séquestrer davantage de carbone ? Quel est le taux de précipitation ? Est-il irrigué ? … Tous ces facteurs peuvent influencer le flux relatif du carbone et de l’oxyde nitreux dans l’atmosphère ou dans le sol.
C’est vraiment intéressant. Comprendre l’impact global sur les émissions ou la séquestration des GES dans le sol est très complexe… depuis le coût énergétique de la production d’un boulon qui entre dans une pièce d’équipement jusqu’à la compréhension du cycle des nutriments dans le sol et comment le sol retient ou libère du dioxyde de carbone ou de l’oxyde nitreux dans l’atmosphère. Il est clair que vous n’avez pas des centaines d’étudiants qui sortent et mesurent toutes ces choses dans les fermes. Vous vous basez sur différents modèles pour vous aider à prévoir ces impacts, n’est-ce pas ?
Exactement, si nous étions les tout premiers au monde à vouloir comprendre comment les exploitations agricoles biologiques du Canada contribuent aux émissions de GES, nous poserions des questions sur tout (par exemple, combien de boulons ? à quelle fréquence tombent-ils ?) Mais nous bénéficions déjà de connaissances grâce aux travaux similaires qui ont été réalisés ailleurs.
Nous avons d’abord passé en revue toute la littérature publiée où l’analyse du cycle de vie est utilisée pour caractériser les émissions de GES des fermes biologiques qui produisent des grandes cultures. Nous avons rassemblé une vingtaine d’études, puis nous les avons systématiquement passées en revue afin d’identifier les activités agricoles qui, selon ces études, ont eu le plus grand impact sur les émissions de GES. Nous utilisons l’expérience acquise ailleurs pour orienter nos étudiants et, plus important encore, limiter le temps que les agriculteurs consacreront à répondre aux questions qui comptent le plus. Ainsi, nous ne demanderons pas aux agriculteurs combien de boulons ils ont remplacé, car les recherches préalables montrent que les boulons n’ont pas d’importance. Nous allons leur demander : quelle est la source des éléments nutritifs ? quelle quantité de nutriments a été utilisée cette année, l’année dernière, l’année précédente ? quelle quantité de carburant a été utilisée ? quelle est la nature du sol ?
Pour ce qui est des nutriments, nous entendons souvent dire que 40 %, voire 50 % du coût énergétique des systèmes agricoles conventionnels, est lié à la production ou à la fabrication d’engrais, en particulier d’engrais azotés, et, dans une moindre mesure, de pesticides. En agriculture biologique, nous recourons à des sources alternatives telles que le fumier de volaille sous forme de granulés ou le compost. Vous évaluerez la quantité de fumier de volaille ou de compost utilisée et les coûts et les émissions de GES potentiels de ces pratiques, est-ce exact ?
Oui, c’est exact ! Ils sont riches en nutriments, ils ont une valeur réelle et ils soutiennent la productivité d’une ferme. Sans eux, les rendements seraient bien plus faibles. Ce sont des intrants essentiels, mais ils n’apparaissent pas par magie. Ils sont générés par de véritables processus physiques ailleurs dans le monde. Ils peuvent provenir d’une ferme voisine ou éloignée. Leur production a entraîné des émissions de GES quelque part. Nous voulons savoir quelle quantité de ces nutriments a été utilisée, et comment nous allons caractériser les émissions associées à l’utilisation de fumier de volaille.
La bonne nouvelle est que, comme je l’ai décrit plus tôt, nous n’avons pas nécessairement besoin d’aller étudier les élevages de volaille au Canada car l’un de nos collaborateurs sur ce projet, Nathan Pelletier de l’UBC, a beaucoup travaillé sur les élevages de volaille canadiens ; nous en savons donc déjà beaucoup sur les intrants et les extrants ainsi que sur les émissions de GES associés à la production de volaille au Canada, l’un des coproduits de cette production étant le fumier qui sera épandu dans les fermes biologiques.
C’est heureux que vous n’ayez pas à rassembler toutes ces données vous-même. Mais vous devez connaître le nombre d’agriculteurs qui utilisent, par exemple, le fumier de volaille, la quantité qu’ils épandent et d’où ils peuvent l’obtenir. Il est évident que cette recherche dépend des données que vous aurez recueillies auprès des agriculteurs, ce qui m’amène à vous demander comment les agriculteurs peuvent s’impliquer dans votre projet.
PT: La meilleure chose à faire est de contacter l’équipe. [Le sondage et les coordonnées sont disponibles à l’adresse www.dal.ca/faculty/agriculture/oacc/en-home/organic-science-cluster/OSCIII/environment/activity-29.html.]
En plus des trois autres chercheurs que j’ai mentionnés, quatre assistants de recherche travaillent pour nous cette année, et trois d’entre eux continueront à travailler avec nous en tant qu’étudiants de troisième cycle au cours des deux prochaines années.
Les agriculteurs collaboreront avec nous en partageant des données sur leurs intrants et leurs extrants. Plus il y a de détails, mieux c’est, mais ce n’est pas grave si les agriculteurs n’ont pas de données complètes et détaillées. L’expérience m’a appris que les agriculteurs et les autres producteurs comme les pêcheurs peuvent très bien faire des approximations. Ainsi, même si les agriculteurs ne savent pas combien de tonnes de fumier ont été utilisées, ils savent combien de chargements ont été livrés à l’exploitation, et nous pouvons travailler avec cela. Nous travaillerons avec n’importe quel niveau de détail que les agriculteurs peuvent nous fournir, en autant qu’ils sont prêts à participer.
L’été étant une période de l’année très active pour les agriculteurs, nous pouvons attendre et repousser notre date butoir pour accommoder les agriculteurs.
En gros, vous cherchez des producteurs de grandes cultures, donc vous parlez de céréales, d’oléagineux… et de pommes de terre aussi ?
Absolument ! Si vous vous considérez comme des producteurs de pommes de terre et que vous les cultivez en rotation avec d’autres choses ou non, c’est très bien aussi.
Beaucoup d’agriculteurs s’intéressent aux meilleures pratiques pour accroître la fertilité des sols et lutter contre les parasites. Quel sera l’impact de vos recherches sur l’agriculture biologique au Canada ?
L’avantage de notre projet sera de comprendre comment les pratiques des grandes cultures biologiques au Canada contribuent au changement climatique. Quelle est l’ampleur de cette contribution ? Varie-t-elle énormément en fonction des régions, ou du nombre d’années depuis lesquelles le sol est cultivé sous régie biologique ?
Nous pensons qu’elle peut varier avec ce genre de contextes, certainement à l’échelle régionale en raison des différents types de sol et de l’abondance des précipitations. Mais l’avantage, je crois, est de participer à la conversation au Canada sur l’impact du secteur biologique sur cette question d’importance mondiale qu’est le changement climatique.
En acquérant une bonne compréhension des pratiques de l’agriculture biologique au Canada, nous pourront idéalement identifier les pratiques qui sont moins émettrices que les autres. Cela nous aiderait à établir des stratégies visant à encourager d’autres agriculteurs à adopter de telles pratiques.
Vous ne pouvez pas modifier l’emplacement de votre exploitation ni la composition générale de votre sol (sauf de manière progressive, par des efforts visant à améliorer la fertilité du sol). Mais il existe de nombreuses pratiques de gestion que les producteurs peuvent décider d’adopter. Si elles n’engendrent pas de coûts additionnels, nous pourrions valoriser ces pratiques afin réduire les émissions de GES.
Nous devons en effet comprendre ces systèmes et leur contribution aux émissions de GES et leur effet de trappe des GES avant de commencer à adopter de nouvelles pratiques. Ce qui manque chroniquement dans notre secteur au Canada, ce sont les données qui nous aideront à prendre des décisions et à formuler des recommandations pour améliorer les pratiques agricoles. Je pense que cette recherche est vraiment importante et qu’elle aura un grand impact sur le secteur en nous indiquant comment être plus durable, ce qui est l’essence même du bio. J’ai hâte de vous interviewer à nouveau lorsque nous aurons d’autres résultats.
Andy, vous êtes le bienvenu. Ce fut un grand plaisir et j’espère que cela a donné un bon coup d’envoi à votre nouvelle série de podcasts.
Définitions
Séquestration du carbone – processus d’élimination à long terme du dioxyde de carbone de l’atmosphère et de son stockage dans les plantes, les animaux, les océans ou les formations géologiques. Dans les systèmes agricoles, le carbone serait stocké dans de grandes molécules de matières organiques (comme les plantes) qui ne sont pas facilement décomposées. Les pratiques agricoles qui augmentent la matière organique du sol aident à séquestrer le carbone, mais ce carbone peut également être libéré par des pratiques qui perturbent le sol.
Flux de carbone – l’équilibre et le flux de carbone entre l’atmosphère, les organismes vivants, le sol ou l’eau. Dans les systèmes agricoles, le sol est un important “réservoir” de carbone qui peut être influencé par des pratiques de gestion qui ajoutent ou détruisent la matière organique du sol.
Gaz à effet de serre (GES)- les gaz présents dans l’atmosphère qui absorbent et réfléchissent le rayonnement infrarouge (c’est-à-dire la chaleur) pour le renvoyer à la surface de la terre. Les principaux gaz à effet de serre associés à l’agriculture sont le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et l’oxyde nitreux (N2O).
Analyse du cycle de vie (ACV) – une méthode d’évaluation des impacts environnementaux associés à toutes les étapes du cycle de vie d’un produit. Dans cette activité de recherche, les émissions de gaz à effet de serre sont étudiées depuis l’énergie utilisée pour la fabrication des équipements jusqu’au combustible utilisé pour la récolte.
Grappe scientifique biologique – projet scientifique national mené par la Fédération biologique du Canada en collaboration avec le Centre d’agriculture biologique du Canada de l’Université Dalhousie, soutenu par le programme AgriScience dans le cadre du Partenariat canadien pour l’agriculture d’Agriculture et Agroalimentaire Canada (un investissement des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux) et par plus de 70 partenaires du monde agricole.
Flux – un flux fait référence à la circulation d’une substance entre deux milieux. Dans cet article, nous parlons du flux des gaz à effet de serre entre la matrice physique du sol (pores, minéraux, espace d’air et eau), les organismes vivants du sol et l’atmosphère. Les scientifiques mesureront la libération de dioxyde de carbone du sol vers l’atmosphère lorsque, par exemple, les organismes du sol décomposent la matière végétale morte.