Par Janet Wallace
Productrice biologique, auteure et chercheure
La demande d’aliments biologiques continue d’augmenter au Canada. Compte tenu de nos longs hivers et de la demande des consommateurs pour des produits frais et cultivés localement, il y a un intérêt croissant pour les produits biologiques de serre. Cependant, en 2019, seulement 6% des serres canadiennes étaient certifiées biologiques.
La conversion vers la production biologique peut sembler déconcertante pour les exploitants de serres conventionnelles, particulièrement dans une production de type hydroponique basée sur l’utilisation d’engrais et de pesticides synthétiques. La culture hydroponique ne peut être biologique parce toute agriculture biologique doit être produite dans le sol ; des exigences strictes encadrent la composition et la quantité minimale de sol utilisé pour chaque plante. Heureusement, au cours des trois dernières Grappes Scientifiques Biologiques (GSB), des chercheurs canadiens ont étudié comment créer un substrat de croissance idéal et fournir un approvisionnement équilibré en éléments nutritifs aux cultures en serre.
Selon la Norme biologique canadienne, le substrat de croissance utilisé dans un système de production en contenants et dans les autres types de productions en serre (telles que définies à la section 7.5) doit :
- « Contenir une fraction minérale (sable, limon ou argile, excluant la perlite et la vermiculite) et une fraction organique, qui contribuent à la structure physique du sol ;
- « Contenir au moins 10 % en volume de compost (exception : les terreaux pour les semis et plants à repiquer peuvent contenir moins de 10 % de compost si des quantités moindres sont nécessaires pour assurer une germination/enracinement adéquat) ; et
- « Contenir au moins 2 % en minéraux (sable, limon ou argile, excluant la perlite et la vermiculite) en poids sec ou en volume (suivant l’unité de mesure appropriée) au début du cycle de production. »
Équilibrer l'apport en nutriments #
Les recherches de la GSB ont démontré que les rendements des cultures de tomates biologiques en serre peuvent être aussi élevés que les rendements des cultures non biologiques. Cependant, selon Valérie Gravel et Martine Dorais, chercheures de la GSB, « la fertilisation biologique est souvent déséquilibrée » dans les serres. Il est plus difficile de bien ajuster l’approvisionnement en éléments nutritifs dans les serres que dans les champs où les producteurs peuvent améliorer la qualité et l’activité biologique du sol au fil des ans et faire la rotation des cultures. Dans les serres, il y a une forte demande en éléments nutritifs étant donné que le rendement annuel par superficie est 10 fois supérieur à celui des cultures en champ. Une bonne récolte de tomates de serre (p. ex., une production de 50 kg/m2) peut nécessiter jusqu’à 1250 kg N/ha.
Une serre biologique qui fonctionne bien est un système au réglage précis où les exploitants, en se basant sur l’activité biologique du sol, synchronisent la libération des éléments nutritifs issus des amendements avec les besoins des cultures. Ceci est particulièrement difficile à l’étape des semis. Comme l’affirme la Dre Dorais, « la quantité d’engrais qui devrait être ajoutée au mélange doit être suffisamment faible pour que la salinité ne cause pas de dommages au système racinaire en développement, mais suffisamment élevée pour soutenir la croissance des plantes jusqu’au repiquage. »
La salinité, qui est mesurée par conductivité électrique, peut inhiber la germination et retarder la croissance des semis. Une forte proportion de compost ou autres engrais organiques peut entraîner une salinité élevée. La salinité est moins problématique lorsque le compost est à base de matière végétale plutôt que de fumier.
Une approche consiste à fournir des sources d’éléments nutritifs à libération lente, comme du compost, dans le substrat de croissance et d’appliquer des amendements supplémentaires sous forme de farines et sous forme liquide. L’équipe de la Dre Gravel a constaté que dans les contenants surélevés, les tomates biologiques cultivées dans un substrat à base de tourbe avaient un rendement aussi élevé que les tomates « conventionnelles » cultivées dans un substrat à base de fibre de coco, mais seulement dans la deuxième année où le substrat a été utilisé. Dans la première année, les plantes peuvent avoir souffert d’une libération plus faible des éléments nutritifs en raison d’une activité microbienne moins élevée. Dans la deuxième année, la communauté microbienne était mieux établie.
Les divers engrais biologiques #
L’introduction de microorganismes dans le substrat de croissance peut aider à transformer les éléments nutritifs en formes que les plantes peuvent utiliser. Par exemple, la Dre Gravel a constaté que Trichoderma harzianum (Rootshield®) stimulait l’activité biologique. En production de fraises, des applications de T. harzianum ont entraîné des concentrations plus élevées de polyphénols et d’anthocyanines (des composés phytochimiques associés à la saveur des fruits et aux bienfaits pour la santé humaine).
Pierre-Paul Dion, de l’Université Laval, a constaté que différents engrais avaient des effets différents sur l’activité biologique du sol, ce qui affectait la rapidité avec laquelle les éléments nutritifs étaient libérés. La farine de luzerne a entraîné une libération lente et à long terme de l’azote. Au contraire, la farine de sang et la farine de plumes ont entraîné une libération rapide et à court terme de l’azote. La farine de crevettes et le fumier de volaille granulé ont entraîné « une fertilisation biologique plus équilibrée soutenant des communautés microbiennes diversifiées et réduisant le besoin d’intrants minéraux autres que l’azote pour soutenir les besoins nutritionnels des plantes . » Cependant, la moitié de l’azote dans le fumier de volaille granulé a été libéré rapidement ; ce taux d’application trop élevé pourrait endommager les plantes.
L’approvisionnement en éléments nutritifs est une chose ; garder ces éléments dans le sol jusqu’à ce qu’ils soient utilisés en est une autre. Diverses activités de la GSB ont étudié comment le biocharbon (biochar) peut retenir les éléments nutritifs (réduisant ainsi le lessivage) et stimuler l’activité biologique du sol. L’ajout de 15% de biocharbon (par volume) au substrat de croissance a entraîné une augmentation des rendements de poivrons et de tomates. La Dre Vicky Lévesque explique que l’amélioration de la croissance était due à une augmentation du carbone, de l’azote et du phosphore assimilables, et que le biocharbon a entraîné un meilleur établissement de bactéries bénéfiques pour les plantes. L’efficacité du biocharbon dépend des matériaux et des températures qui ont été utilisés pour le créer.
Les études de la GSB donnent aux exploitants de nouveaux outils pour optimiser la production biologique en serre. Les recherches futures de la GSB pourraient apporter encore plus de connaissances. Ceci encouragera les serriculteurs conventionnels à faire la conversion vers la production biologique et aidera à répondre à la demande toujours croissante de produits biologiques locaux.
La Grappe scientifique biologique 3 est dirigée par la Fédération biologique du Canada, en collaboration avec le Centre d’agriculture biologique du Canada à l’Université Dalhousie, et soutenue par le programme Agri-science d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, dans le cadre stratégique du Partenariat canadien pour l’agriculture (un investissement fédéral-provincial-territorial), et par plus de 70 partenaires du secteur biologique.
Ce magazine peut être ainsi référencé : Geldart, E. Graves, M.E., Boudreau, N., Wallace, J., et Hammermeister, A.M. (rédacteurs). 2022. La Science du Bio au Canada. Volume 4. Fédération biologique du Canada, Montréal, QC et Université Dalhousie, Truro, N.-É. 40 p. www.dal.ca/oacc/oscIII