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De jeunes pousses dans les jardins fleuris de l’IRDA

13 décembre 2019

Sommaire

Les pousses sont de plus en plus recherchées par les consommateurs : leur saveur et leur fraîcheur en font des aliments souvent consommés au quotidien. Voilà pourquoi une équipe de l’IRDA menée par Caroline Côté se penche sur la production des pousses sous régie biologique, de jeunes plants que les organismes nuisibles apprécient tout autant que les consommateurs. Lire davantage.

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Bonjour, ici Nicole Boudreau de la Fédération Biologique du Canada.

Nous avons aujourd’hui le plaisir d’interviewer 3 chercheurs de l’Institut de Recherche et de Développement en agroenvironnement (IRDA). Il s’agit de Caroline Coté, chercheure et coordonnatrice du secteur biologique à l’IRDA, Annabelle Firlej, Docteure en biologie, chercheure en entomologie à l’IRDA, et Maxime Lefebvre, Docteur en science végétale et professionnel de recherche en herbologie a l’IRDA. Bonjour Caroline ! Bonjour Annabelle! Bonjour Maxime!

Bonjour!

Le nom de votre activité de recherche dans le cadre de la Grappe Scientifique Biologique 3 est Élaboration d’un système de production de jeunes pousses biologiques, une approche multidisciplinaire. Alors, c’est la raison pour laquelle nous avons 3 chercheurs pour cette activité de recherche. Pourriez-vous décrire le rôle spécifique de chacun d’entre vous?

Caroline – Oui bien sûr. Comme on souhaitait avoir une approche multidisciplinaire, on a des gens qui travaillent en régie de l’eau avec Carl Boivin et son équipe. Au niveau du contrôle des insectes, on travaille avec Annabelle Firlej, et au niveau du contrôle des mauvaises herbes, avec Maxime Lefebvre, qui fait partie de l’équipe de Maryse Leblanc.

Les jeunes pousses sont un produit de plus en plus populaire auprès des consommateurs. Quels sont les défis reliés à la production biologique de jeunes pousses?

Caroline – En fait, la production conventionnelle des jeunes pousses est déjà très importante au Québec et la demande pour des produits biologiques devient tout aussi importante. C’est une production qui se fait en terre noire, un type de sol où la production biologique au Québec est beaucoup moins importante. On a donc voulu assembler les équipes pour développer une régie, s’assurer qu’en faisant certaines interventions, on trouve les meilleurs compromis pour, à la fois, fertiliser les cultures et contrôler les ravageurs.

Quelle est votre approche pour le contrôle des ravageurs dans le cadre de cette activité?

Caroline – On a deux sites expérimentaux, dont le premier est en place depuis déjà 5 ans; ce sont des sites de longue durée pour bien voir l’effet de nos pratiques à long-terme; c’est particulièrement important en agriculture biologique, parce qu’on va moduler avec le temps la fertilité et les communautés de microbiennes des sols. Le site en place depuis 5 ans a été utilisé pour la production de carottes pendant 2 années, puis en production de jeunes pousses de laitue et d’épinards depuis les 3 dernières années. On y applique des cultures de couvertures différentes, soit l’avoine, le pois ou bien aucune culture de couverture. Pour chacun de ces types de cultures de couvertures, on évalue différentes approches de fertilisation : des applications de granules de fumier de poulet, de compost ou un contrôle qui ne reçoit pas ces fertilisants. Les cultures de couvertures sont importantes, particulièrement en production en terre noire, parce que ce type de sol est très sujet à l’érosion par le vent; il y a donc des pertes de sol à long-terme, amplifiées par l’oxydation de la matière organique. On a aussi évalué l’effet potentiel des cultures de couvertures sur les insectes ou les mauvaises herbes qui pourraient être présents en cours de production. On a évalué les rendements et les différentes approches de contrôle des ravageurs. Quant au deuxième site, en marche depuis 2 ans, on y fait la production de laitue et de roquette; les cultures de couvertures évaluées sont le seigle, un mélange avoine-sarrasin et un contrôle; toutes les parcelles sont fertilisées de la même manière.

Donc, ce sont des cultures de couvertures différentes et des variétés de pousses différentes sur les deux sites?

Caroline – Oui, soit laitue et épinards dans le premier site, laitue et roquette dans le deuxième site. Comme la saison de production des jeunes pousses est très courte, soit d’environ 3 semaines, nous pouvons faire 2 ou 3 tests de production à chaque année.  

Bien que le cycle de production soit relativement court, les ravageurs ont le temps de s’installer. Quels sont les principaux ravageurs en culture de jeunes pousses?

Caroline – Le contrôle des mauvaises herbes est un défi très important dans ce type de production, de même que le contrôle de certains insectes.

Maxime – Dans le premier site expérimental, notre rôle était sensiblement d’évaluer les populations de mauvaises herbes qui s’étaient établies en fonction des différentes cultures de couvertures et du mode de fertilisation. Les espèces que l’on retrouve dans ces sites de production en terre organique sont sensiblement le pourpier potager, le tabouret des champs, le chénopode blanc, soit des espèces prévalentes qui pourraient potentiellement diminuer les rendements s’il n’y avait aucune intervention.

Et quelles sont vos stratégies pour combattre ces mauvaises herbes?

Maxime – Les stratégies ont davantage été évaluées dans le deuxième site expérimental où les objectifs étaient vraiment d’optimiser l’intervention des faux semis.

Du moment où les buttes sont préparées et jusqu’au moment où la culture va être semée, on a tenté d’optimiser la technique des faux semis, soit un travail du sol pour stimuler la germination des mauvaises herbes pour ensuite les détruire. L’objectif est d’amoindrir les mauvaises herbes qui vont s’établir dans la culture. On a donc évalué l’efficacité de différents équipements de travail du sol, notamment le sarcleur à cages et la herse-étrille. On a aussi évalué un biopesticide à base d’acide acétique pour voir si on pouvait limiter la présence des mauvaises herbes lorsque le sol n’est pas travaillé. Ce sont des outils que nous avons évalué en observant comment les mauvaises herbes s’implantent dans la culture.

Votre stratégie est donc de faire germer les mauvaises herbes, les détruire et ensuite de planter vos jeunes pousses?

Maxime – Exactement, puis parallèlement, on tente de bien comprendre quelles espèces germent et à quel moment lors de ces interventions. On tente de modéliser la levée des mauvaises herbes afin de comprendre, à la suite d’un travail du sol, dans quelle proportion chacune des espèces va germer. Cela nous permettra de bien planifier nos interventions de faux-semis afin de sauver du temps et amoindrir les populations de mauvaises herbes.

Mais comme vous êtes en terre noire, une terre plus volatile, est-ce que le travail du sol peut contribuer à l’érosion?

Maxime – En fait, l’intervention des faux-semis est un travail très superficiel dans les 2-3 premiers centimètres de la surface du sol, le but étant seulement d’arracher ou recouvrir les petites plantules de mauvaises herbes qui s’établissent. Le but est de ne pas travailler le sol; si le modèle testé nous indiquait que ce n’est pas nécessaire, ça serait à l’avantage des producteurs en termes de coûts d’opération et d’efforts de désherbage.

Caroline – La pratique des faux-semis est déjà pratiquée par les producteurs, mais nous cherchons à comprendre de quelle manière et à quel moment intervenir le mieux possible pour réduire les interventions qui représentent aussi des coûts pour les producteurs.

Annabelle, vous êtes entomologiste, quel est votre rôle pour cette activité de recherche ?

Annabelle – Mon rôle est vraiment d’établir des stratégies pour gérer les insectes ravageurs des cultures de jeunes pousses. La tolérance est très faible au niveau du dommage causé par les ravageurs; plus de 5% de pousses endommagées est un seuil très important en production de jeunes pousses biologiques. On essaie donc de rester en bas de 5%. Il y a différentes manières d’y parvenir, ça dépend beaucoup de la culture.

Par exemple, on avait des productions d’épinards dans le 1er site, et de roquette dans le 2ième site. Ce ne sont pas les mêmes produits biologiques qui vont être homologués pour lutter contre les différents ravageurs, soit l’altise, le thrips, le puceron, la chenille défoliatrice et la punaise terne. Il s’agit d’un pool important d’insectes qui endommagent les jeunes pousses.

À titre d’exemple, il n’y a pas de biopesticides homologués pour le contrôle de l’altise à tête rouge, le principal ravageur de l’épinard. On a appliqué une stratégie, soit l’utilisation de plantes trappes pour attirer l’insecte et le détourner de la culture commerciale. Donc on sélectionne des plantes qui sont plus attirantes que l’épinard. On a testé différents mélanges de plantes pendant 3 à 4 semaines, soit des mélanges d’amarante, de colza, de moutarde, mais on aussi innové en testant des plantes ornementales parce qu’elles attirent l’altise à tête rouge naturelle. On parle ici de coreopsis, de zignas et de chrysanthèmes. Nous allons établir un système expérimental qui permet de tester ces différents mélanges et d’observer leur pouvoir d’attraction sur l’altise à tête rouge. Ce premier projet a permis d’observer que les mélanges floraux sont très attractifs pour l’altise à tête rouge, plus que les autres mélanges que l’on avait testés. Nous exploiterons donc ces résultats dans le futur.

C’est intéressant parce que vous favorisez la biodiversité tout en créant un joli jardin.

Annabelle -Oui, c’est un joli jardin qu’on utilise pour détourner le ravageur. Dans le 2e site, pour la roquette, nous avons une approche complètement différente. Nous testons différentes stratégies, car pour la roquette, nous disposons de vieux pesticides homologués, mais nous voulons diminuer leur utilisation pour éviter de créer des problèmes de résistance. Nous avons donc comparé une régie avec biopesticides à une régie qui est mixée. Nous utilisons certains biopesticides tout en utilisant des ennemis naturels, qui ont le pouvoir très important de dévorer certains insectes ravageurs; l’inconvénient est que les ennemis naturels ont besoin d’un certain temps pour s’installer. En 3 à 4 semaines, c’est quand même long pour une production, nous avons réussi à établir quels agencements d’ennemis naturels pouvaient être intéressants pour ce type de culture. Nous avons produit des acariens prédateurs, des œufs de chrysope par exemple qui, au stade larvaire, vont manger pleins d’insectes à corps mou, comme les pucerons, les thrips, etc. Donc, on a comparé ces différents modes de lutte contre les ravageurs pour les producteurs de roquette qui cherchent à réduire leur utilisation de biopesticides tout en restant en deçà du seuil de 5% de dommages économiques.

Même si la production au champ est d’une durée de 3-4 semaines, les ravageurs ont quand même le temps de s’y intéresser et de développer une prédation?

Annabelle -Oui, il y a des prédateurs dont le développement est rapide et qui seront très actifs, comme les acariens qui sont très mobiles; on étudie leur comportement pour les introduire à un moment stratégique. On peut donc miser, même sur 3 semaines, sur les effets des ennemis naturels; c’est ce qui est très intéressant.

Mais est-ce la première expérience qui est menée en production de jeunes pousses biologiques au Québec?

Annabelle -Au niveau des insectes ravageurs et donc des méthodes de contrôle, oui! Il y a des expériences qui se font à la ferme, les producteurs eux-mêmes testent des stratégies, mais elles ne sont pas forcément publiées.  

Et vous bénéficiez de l’appui d’un important producteur du Québec, Vert Nature, qui se spécialise en ce moment en production conventionnelle de jeunes pousses, mais qui voudrait en développer la production biologique car le marché est en croissance. Une fois que les résultats de vos recherches seront concluants, comment un producteur de jeunes pousses pourrait appliquer les résultats de votre activité?

Caroline – Il y a différents moyens, des publications écrites, des conférences et un travail qui est réalisé en collaboration avec les gens de Phytodata. Nous coopérons aussi avec les producteurs agricoles; nous avons travaillé de façon très étroite avec les experts de Vert Nature car souvent, ce que je dis, c’est qu’un producteur est la meilleure personne qui puisse convaincre un autre producteur. Quand on travaille en coopération avec les producteurs dès le démarrage, cela facilite beaucoup le transfert.

Mais un producteur devra se procurer des armées de prédateurs pour lutter contre les ravageurs des jeunes pousses ?

Caroline – Différentes stratégies sont évaluées dans le cadre du projet; évidemment, les aspects économiques sont toujours présents dans nos esprits et chez nos partenaires. Il faut trouver le meilleur compromis pour le maintien de la productivité, les coûts que ça représente, toujours dans le respect de l’environnement. Par exemple, quand aucun biopesticide n’est homologué, il faut trouver des alternatives; c’est ce qu’Annabelle effectue pour le contrôle des insectes.

Et conclusion, qu’est-ce qui vous a motivé à entreprendre une recherche en agriculture biologique, qu’est-ce qui vous passionne au sujet de ce type de production?

Caroline – L’agriculture biologique nous ramène aux bases de la pratique agronomique. Il faut bien comprendre les systèmes qui sont en jeu en production biologique car nous ne disposons pas toujours des outils qui nous permettraient de corriger rapidement une problématique telle, par exemple, une carence en aliments nutritifs. On ne peut pas utiliser des fertilisants de synthèse pour combler des carences en azote, alors, il faut constituer des réserves à l’avance. Le défi est donc très important et intéressant. Pour le contrôle des mauvaises herbes et des insectes, il faut comprendre les interactions, pourquoi cet insecte est présent et comment on peut le réprimer quand on n’a pas l’outil qui va nous permettre d’intervenir rapidement. Nous évaluons des systèmes et c’est la raison pour laquelle nous fonctionnons en multidisciplinarité; on veut éviter, par exemple, d’utiliser une culture de couverture qui favoriserait la présence d’un ravageur dans notre champ ou qui ferait en sorte que l’on aurait plus de mauvaises herbes. C’est ce qui nous a motivé à travailler en équipe, en collaboration avec notre partenaire de l’industrie. C’est important d’avoir des interventions qui ne vont pas créer un autre problème.

Il faut aussi être stratégique : une culture de couverture, tout en compétitionnant avec les mauvaises herbes, peut aider à récupérer des nitrates qui, autrement, se retrouveraient dans l’environnement. Il importe donc de considérer le système de production sous tous les angles.

Les producteurs et les consommateurs seront surement heureux d’appliquer les résultats de l’activité de recherche menée par Caroline Coté, Annabelle Firlej et Maxime Lefebvre, tous trois de l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement. Merci!

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